Chez Nounouss

 

Sur les hauteurs · 2012-05-09

[Anton Arbeit - R.Évolution]


Une arrête rocheuse en surplomb d’une étroite vallée, l’hiver s’y accrochait un peu plus tôt qu’alentours et y lacérait déjà l’air sec. Là, à couvert derrière un rocher, Anton ne résistait à la morsure du froid que par la passion qui l’animait. Plus bas le long de la voie, on s’afférait, les charges étaient posées, des câbles tirés et reliés aux détonateurs, on montait les trépieds, y installait les mitrailleuses, on creusait, on camouflait.
On espérait.
Il connaissait tout ça, il savait aussi que sans la concentration, la peur l’aurait saisi à bras le corps. Ce n’était malheureusement pas son premier combat, ni le dernier. Ses convictions l’avaient mené loin de chez lui, loin de tout, elles avaient fait de lui un vétéran que ses nouveaux compagnons accueillaient à chaque fois respectueusement, sa réputation le précédant partout. Il avait plusieurs fois perdu tout ce pour quoi il s’était battu, sans jamais renoncer.
Ce soir il n’était pas avec le reste de la cellule, il surveillait la gorge, on comptait sur ses yeux, sur sa main si sûre, sur sa foi qui guiderait la balle jusqu’au cœur du tyran. C’est ce que lui avait dit le chef de section, mais il ne le croyait pas, pas cette fois.
Plus rien n’était pareil depuis que… « Toujours rien ? » À nouveau, il ne l’avait pas entendu arriver. Prenant son temps, le grand échalas qui l’avait rejoint s’était assis, dos au rocher, sans se soucier d’avoir une ouverture sur le terrain des opérations. Au lieu de ça, il sortit une flasque d’alcool qu’il portait à ses lèvres en regardant le soleil amorcer sa descente derrière les massifs, sur l’autre rive du fleuve, de l’autre côté de la frontière.
« Pourquoi ? Dites-moi pourquoi envoyer un vétéran comme moi faire le guet ?
— Karl ne t’a pourtant pas dit que c’était mon idée n’est-ce pas ? Hé bien, c’est pour ça. Parce qu’il n’est pas nécessaire de te dire les choses. »
Un mécène, c’est avec cette casquette que ce grand maigrichon avait approché l’organisation qui en moins d’un an lui mangeait dans la main.
« Vous êtes un homme d’argent et de pouvoir, pourquoi financer des combattants ? N’y a-t-il pas d’autres moyens de défendre la liberté, plus efficaces ?
— Tu prêtes à l’argent un pouvoir qu’il n’a pas.
— Foutaises. La lutte armée est le seul moyen auquel j’ai accès, le seul que je connaisse, autrement… Au moins, la violence est pure… »
Sans quitter son objectif des yeux, Anton pouvait jurer que l’autre le regardait maintenant, fixement.
« La violence engendre la violence…
— L’argent appelle l’argent. »
Loin au delà de la gorge, un filet de vapeur se détacha sur le jour moribond avant de disparaître dans la montagne, bientôt le convoi militaire sortirai de la gueule du tunnel et se fraierai un chemin dans l’étroite vallée où il finirait sa course.
« Je ne vous aime pas.
— C’est aussi une des raisons pour laquelle nous sommes là, tous les deux… »

 

Commentaire

Bravo, Rémi. J’aime les personnages sans illusion sur la Vie.

Marc Andriot • 13 mai, 19:49

 

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