Chez Nounouss

 

Sur le plat · 2017-10-28

Embrumé d’aventures nocturnes encombrantes, roulé heureux dans mon cocon‑couette, j’extraie un bras aussitôt rétracté téléphone‑proie en main. Au travers de l’objectif des yeux‑invitation vers un univers unique. Capture partage.
Forcé je me lève et me couvre en un geste de pied en cape, métamorphose. Ablutions café lancé démarrage pc café récupéré, errances sociales, maigre récolte recafé.

Leurres fugitifs.
Ma poitrine son œuf.

Il grandit en pulsant, brise sa coquille et du bec par l’ouverture dans mon plexus hume l’air frais, ça lui plaît il en veux plus ! Battant des ailes il s’égosille, déforme l’espace en l’aspirant et s‘ébroue, les étagères tremblent et les murs vacillent.
Le nourrir, combler ce vide comme je peux avant de m’affaisser sous ses hurlements, en attendant.
Hier présence embryonnaire avant même que sa coquille ne soit formée en œuf, il était là.

~

D’un geste simple tu m’as retourné comme une crêpe avant que je ne crame, j’ai fini de dorer à feu doux.

~

Ce matin je suis fin cuit, son appétit me dévore.
Frapper la pierre de mes mains, pas pour détruire ni souffrir, pour le nourrir. De la matière tirer extraire déchaîner l’énergie, l’en empiffrer le goinfrer le gaver, tracer écrire. Écrire brut pour libérer la force et la violence de la création.

Il aspire j’inspire.

~

Restreint par les mots, il se recroqueville, attendant son heure.
Je vais manger.

~

Je n’ai pas frappé de pierre à main nue, ni rien d’autre d’ailleurs. J’ai pensé à une salle de sport, voir si on me laisserait enfiler des gants et me défouler sur un sac…
Je me suis ravisé, c’est pas ça mon exutoire.
J’ai pensé dessiner, mais ça n’aurait pas fait l’affaire, pas dans en l’état, j’aurai foiré ça m’aurait miné.
Écrire, depuis le (trop long) temps.

 

 

Je rentrais du travail en flânant, un long weekend en perspective et le temps pour moi.

Une voiture s’arrête, les reflets sur la vitre et la surprise m’empêchent d’abord de reconnaître un collègue revenu de sa campagne où il est parti couler une retraite tranquille. Il n’en revient que très rarement, c’est avec plaisir que je monte à ses côtés pour une balade, il veut me montrer quelque chose.

Il n’a pas changé, porte une de ses chemises à fleur qui participe à la jovialité du personnage replet. « Non, ça j’en portais quand j‘étais jeune » maugrée-t-il en réponse à mon compliment sur ladite chemise, il n’a pas changé. Bien.

Le trajet disparaît dans le fil d’une conversation anodine et la voiture s’arrête dans le jardin de sa maison. Il me fait faire le tour du propriétaire en commençant à l’étage par le clou de la visite, la salle de bain qu’il a remis à neuf. Elle est étincelante et originalement suréquipée. La baignoire spécialement longue est dotée d’un épais matelas d’eau en plastique parme d’un côté, de l’autre une cuvette de toilette intégrée donne un cachet médical à l’ensemble.

« Vous avez fait ça avec ton amie ? » il se renfrogne, ah, j’ai du rater un épisode. Il m’invite à le suivre, il a un service à me demander si j’ai le temps, je l’ai, si je fais toujours de la photo, toujours.
La porte contiguë donne sur une grande pièce en longueur, dans un coin un lit entouré d’ustensiles et d’appareils médicaux, sur le lit le corps à peine vivant d’une vieille femme me fait l’effet d’un grand oiseau marin échoué. Sa mère. Alors qu’il m’entraîne dans son sillage vers le fond de la pièce je réalise que je ne l’ai pas saluée, je me reproche intérieurement ce manque de savoir-vivre bien que toute interaction soit vaine.

Nous y sommes. Son espace de travail, de prime abord un sacré bazar. Pas besoin d’explication pour comprendre que c’est là qu’il passe le plus clair et le plus sombre de son temps.

« Je bosse là-dessus en ce moment mais là je bloque, manque de documentation, tu vois – des photos tirées de livres et de publications scientifiques – c’est pas très net alors pour les détails… Si tu pouvais… » oui. Inutile de m’en dire plus, je ne l’entends plus, fasciné. Malgré l’angoisse de la briser, j’ai osé prendre cette fragile architecture dans mes grosses mains maladroites, il fallait que je puisse la regarder sous tous les angles.

À première vue c’est un crâne, celui d’un squelette de grand singe. Un examen plus attentif lui rend sa véritable nature : une structure aérienne constituée d’un agencement de fins profils de bois emboîtés. Le principe en lui-même m’est connu mais c’est la première fois que je vois une réalisation de cette ampleur avec ces qualités de minutie et d’esthétisme. La surabondance m’avait empêché jusque là de les distinguer mais à présent je reconnais, rangées pêle-mêle sur les étagères, d’autres reproductions de crânes, essentiellement de dinosaures.

Alors oui, sans conteste, je passerai outre ma réticence à me fourvoyer sur Paris et mon dégoût de la foule pour l’accompagner au musée d’histoire naturelle prendre les photos qui lui manquent pour achever son ouvrage.

Ce point étant clarifié le facteur de crâne entreprend de me montrer quelques-uns de ses trésors. D’un tiroir il sort un objet non identifié en métal brillant. La chaînette et l’anneau qui y sont attachés donnent à penser que c’est un porte clé, le bon sens ne peut adhérer à cette hypothèse. L’artefact activé à proximité du peu de surface libre d’un mur y projette une image qui s’anime… C’est donc un projecteur de poche des années 50. L’appareil, trop petit pour contenir un film intégral donne à voir une succession d’extraits de films : Clint Eastwood jeune dansant joyeusement une gigue avec un Elvis bouffi dans une comédie musicale, Clint Eastwood – encore – marchant de nuit dans une rue mal éclairée, le titre et l’image ne me rappellent aucune de ses apparitions… Des courts métrages ? Je n’en saurai pas plus, un autre trésor a été exhumé…

« On va prendre l’air ? » question rhétorique, déjà la voiture retourne en ville où nous allons visiter la chapelle de mon ancien lycée. Récemment restaurée, elle héberge à présent la collection de matériels et d’équipements scientifiques de l’établissement. Le contraste entre le bâtiment refait à neuf et la vétusté des objets exposés n’est pas aussi frappant que je l’avais imaginé, moins frappant que l’aspect “réserve désordonnée” de l’exposition elle-même, si c’en est bien une.

Il nous faut écarter des panneaux de bois et de grands Christ en croix pour accéder à ce qui nous a conduit ici, le rayon ornithologique plus important que dans mon souvenir. En pleine conversation devant les volatiles empaillés et l’alignement des squelettes, j’ai bien failli ne pas voir passer derrière nous une autre de mes connaissances. En temps normal elle m’aurait embrassé comme une vielle médaille mais la présence de mon ancien collègue empêche tout rapprochement, ces deux là se connaissent et se détestent cordialement. Par égard pour moi ils font mine de s’ignorer, je ne peux que les suivre dans leur manège.

La journée tire à sa fin, il a de la route à faire, j’habite à proximité, nous nous quittons aux grilles du lycée.

La prochaine fois que l’on se verra se sera au Jardin des Plantes.

Commentaire

 

 

Eugène V, nettoyeur · 2014-10-05

Parmi les retrouvailles d’archives ce projet de récit jamais arrivé à terme.

Sachant que Avec un k était le début de la nouvelle en question, je me demande comment j’avais pu penser réussir à raccrocher les wagons, ce qui explique que je n’ai pas dépassé la quinzaine de lignes.

Pour clarifier tout de même, Eugène V et Viktor identifient le même personnage, j’avais changé ce point en cours d‘écriture sans pour autant remanier mes notes de travail.

Un dernier point pour conclure cette introduction, je dois avouer qu‘à l‘époque je n’avais jamais entendu parler de feng-shui.
Si je me rappelle bien, c’est un des points qui une fois soulevé est venu s’ajouter à la liste des raisons qui ne m’ont pas incité à pousser plus loin cette histoire.

Notes concernant le récit rapportant la vie et l’œuvre de Eugène V, nettoyeur de son état.

Il est important de préciser que contrairement aux apparences, Eugène V n’est pas un agent des forces spéciales auquel certaines puissances auraient eu recours en cas de problèmes spécialement épineux. Il s’agit là d’un malentendu très compréhensible, c’est pourquoi il est bon de commencer par le dissiper. Cette méprise sur les attributions de Eugène V n’a pas été sans compliquer particulièrement son existence qui n’en a été que d’autant plus extraordinaire. En accord avec les plus hautes autorités gouvernementales certains évènements de la vie de Eugène V ne seront dévoilés que dans le délai légal prévu en ce qui concerne les affaires traitant de la sécurité nationale, en effet la confusion due à son titre a projeté plusieurs fois le sujet de cette biographie au cœur même de situations relevant du secret d’état.

Nettoyeur, plus qu’un métier, un sacerdoce.

Pour la plupart d’entre nous, ranger un espace quel qu’il soit relève davantage de la corvée ou de l’insipide nécessité. D’aucun se rappelle sans doute comme d’une supplique parentale douloureuse l’appel à l’ordre dans les jouets répandus éparses, à même le sol de la chambre de son enfance. Sans doute est-ce cet écho lointain qui résonne alors à nos oreilles lorsqu’il nous faut aujourd’hui encore mettre de l’ordre dans nos affaires.

Il en était sans doute de même pour Eugène V jusqu’à ce jour où il comprit qu’il devait faire de sa vie une ode au rangement et à l’ordre. À partir de ce 21 mars 1981 et dans des circonstances très particulières sur lesquelles nous reviendront plus tard, il devint Nettoyeur professionnel, une tache à laquelle il allait s’atteler pour le restant de son existence. Pour ceux qui ne connaissent que trop peu l’œuvre de cet « artiste » en la matière, il faut savoir qu’il ne se s’est jamais contenté de nettoyer les espaces auxquels il était attaché, il aurait d’ailleurs avoué à diverses occasions que si c’était une phase importante et nécessaire dans l’élaboration d’un bon rangement, ce n’était pas celle qu’il goûtait le plus. Ses détracteurs les plus virulents s’octroient souvent le droit de lui reprocher son manque de sérieux dans ce domaine, mais c’est sans doute quelque peu exagéré. Finalement, là où, sans conteste, excellait Eugène V, c’était dans l’agencement et la réorganisation qu’il pratiquait avec beaucoup de finesse et d’efficacité. Comme tout artiste qui se respecte, et élevé à ce niveau de virtuosité, le rangement devient un art, Eugène V ne vivait que par et pour le rangement. Au risque d’oublier parfois les gestes les plus quotidiens, il s’immergeait pleinement dans le désordre qui lui était confié, s’en imprégnant jusqu’à la moelle et ne s’en détachait que pour laisser derrière lui une aire d’ordre apaisant. Il n’était pas rare de le retrouver alors, gisant à même le sol, dans un état de fatigue extrême, le visage affichant une attitude de complète décontraction proche de la béatitude canonique.

21 Mars 1981, la révélation d’un nouvel ordre

Les circonstances exactes qui ont conduit Eugène V sur le lieu même où sa vie allait prendre une nouvelle orientation nous sont inconnues. Ses plus fervents admirateurs ont bien essayé de trouver une explication logique, ou parfois mystique à sa présence en ce lieu, mais il semble que la suite des évènements devaient emporter dans la tourmente les détails que le principal intéressé lui même n’a jamais daigné éclairer de ses lumières. Après tout, ils devaient être nombreux ce samedi là…

- À cet endroit, il semble que des pages du manuscrit original soient manquantes –

Jusqu’où va la folie ?

Ceux qui veulent enlever tout mérite à ce génie créateur d’espace ordonné clament pour cela ne voir là que l’expression la plus primaire d’un comportement névrotique compulsif.

Le professeur Herrard, brillant psycho pathologiste est le premier à avoir défendu cette théorie, se basant sur les travaux photographiques de Mlle Dorp ( Julie Dorp, étudiante en sociologie avait commencé un important travail de recherche sur l’œuvre du nettoyeur, malheureusement disparu avec elle). Il appui également sa thèse sur les brusques « sautes d’humeur » dont fut victime Eugène V tout au long de sa vie. Les circonstances qui ont conduits à la fin du Nettoyeur semblent confirmer les dires du professeur, sans pour autant en être la preuve définitive. Le professeur Herrard s’est d’ailleurs toujours refusé à émettre un avis catégorique sur ce sujet.

L’instrument d’une lutte mystique ?

Si j’ai évoqué précédemment la thèse médical qui peut éclairer la vie et l’œuvre du Nettoyeur, je me dois à présent d’évoquer son pendant mystique, quitte à prêter le flanc à la critique… Mais après tout, il se trouverait certainement des gens pour me reprocher de ne pas l’avoir fait, dès lors, dans un soucis d’équité et de vérité, j’exposerai là cette thèse qui relève davantage de la croyance que de la science. Selon Mr Doffu, éminent spécialiste des sciences occultes et théologien reconnu, une lutte entre le Bien et le Mal se livrerait en permanence de part le monde, l’ordre allant avec le Bien, le chaos accompagnant le Mal… Pour Mr Doffu, en rangeant les espaces les plus désordonnés qui lui avait été donné de voir, le Nettoyeur accomplissait une sorte de croisade des temps modernes en repoussant les frontières du chaos, guidé en cela par une force supérieure et divine… Avec cette théorie, il n’oublie pas de trouver une explication à la disparition de l’Ordonnateur (selon son appellation), le désordre attirant les mauvais esprits, lors de son dernier rangement, l’un des plus complexes il est vrai, il aurait eu à en découdre avec une force bien supérieure à toutes les précédentes et qui l’aurait emmené avec lui dans un espace parallèle où ils seraient engagés dans une lutte sans fin ni merci.

Harmoniques

Quoique intéressante, la thèse de Mr Doffu semble en parfaite inadéquation avec les propres penchants spirituels de l’artiste qui n’aurait sans doute pas adhéré à cette vision relativement chrétienne et donc manichéenne du monde. Eugène V, lorsqu’il y était contraint, préférait expliquer qu’au mieux, il pouvait croire que le monde est parcouru par des flux d’énergie invisible. Que, selon la configuration physique qu’ils rencontrent, ces courants se propagent en ondes de façon plus ou moins harmonieuse et mélodieuse , et que, à la manière du corps d’un instrument de musique, un lieu peut être organisé pour faire raisonner et amplifier ces ondes. Il disait alors se considérer, dans cette hypothèse, comme une sorte d’accordeur qui cherchait à développer les harmoniques de chaque endroit. Toute personne qui a visité un lieu rangé par l’artiste pourrait sans doute dire d’ailleurs qu’il a expérimenté cette hypothèse en ressentant un bien être l’envahir au fur et à mesure que l’endroit l’imprégnait, encore eut-il fallu pour cela être passé avant que ne revienne le désordre. C’est en cela d’ailleurs que la thèse de la psychopathologie du professeur Herrard reste également peu convaincante. Les rangements de type névrotique ne laissent jamais une impression de paix, ils génèrent au contraire une sorte de tension déplaisante, tout comme un trop grand ordre peut donner l’impression d’une froideur malsaine similaire à ce que l’on peut ressentir en étant confronté à une architecture de type fasciste.

Avec un k

 

 

MerEdith · 2014-06-04

[Meredith, l'Archidiacresse]

« En dépit du portrait antipathique que les témoignages de l‘époque dressent de l’Archidiacresse MerEdith, son ministère fut l’un des plus prospère de l’Empire et ses bienfaits perdurent encore aujourd’hui.

Cette image déplaisante, unanimement rapportée, ne porte cependant pas les couleurs du premier conseiller de l’intéressée, le Baron Bartolomeus Krasus pour lequel vous savez l’affection et le respect que je nourri, en vertu de la démesure de son œuvre et des qualités humaines avec lesquelles il l’a accompli.

Indépendamment de mon admiration, je n’ai jamais décelé d’indice de complaisance dans aucun de ses écrits et tandis que ses manuscrits sont émargés de sonnets, ciselant parfois cruellement mais toujours à leur juste valeur les plus grands de ses contemporains, il se trouve qu’il n’a laissé aucun commentaire concernant d‘éventuelles difficultés relationnelles avec l’Archidiacresse.

Dans les premiers temps de sa prise de fonction auprès d’elle, il va même jusqu‘à confier Qui donc est le joailler capable du prodige d’avoir façonné un écrin de chair si admirablement ajusté à la finesse et l‘élégance de cet esprit affuté ?

Jusqu‘à présent j’avais toujours interprété cette lacune comme une marque d‘égard envers celle qu’il servait inconditionnellement. Ce n’est qu’en exhumant un carnet tardivement retrouvé dans les effets personnels du Baron que j’ai mesuré la nature et l’ampleur de ma méprise.

Griffonné à la mine de plomb on peut y lire cette sentence, révélant une nuance nouvelle : MerEdith est la reine du compliment cinglant. »

Hertzorg, Les volumes de la Perdition – Le règne d’Oton le Preux.

[Garde rapproché de l'Archidiacresse]

 

 

[Quelle noce fera tu demain ?]

— Toutes mais je m‘éclipserai avant l’aube. »

Alors qu’on espérait une accalmie, voilà qu’un vent pire se lève et que le petit Vlad tapisse les murs nocturnes de la ville avec des affichettes “sus aux sangsues”.
Le jeune homme aspire à se glisser sous les même draps qu’Ulla, et se déclare à elle en concluant « J’en attends, par cœur et par raison, pas moins de toi ! » formule enrichie de ses lectures où de jeunes sioux ardents s’engagent ainsi sur le sentier de la guerre.

Elle, elle s’en fout, elle le vanne, elle signe et se carapate.

« Tiens ! V’là tes pièces ! » qu’il lui lance avec la monnaie alors qu’elle est déjà loin.
Aïe ! Il brame ! Ç‘t’au cœur de l’action qu’il aurait du lui donner la réplique bon sang !

Dépité, il s’en va déclouer des cercueils au bar en attendant l’aube pour aller au pieu.

Passé la porte, il est accueilli par un «  ah bah ! Pour une halu c’est une belle halu ! Causes-y d’tes malheurs à Dédé ! », provenant du patron atterré, en réponse à ses yeux bouffis et à sa mine à murer l‘établissement.

Vlad rejoint son perchoir jouxtant l’abreuvoir, il boit double et picore sec.

Au fond de la salle, un corps s’affale, ça couine, c’est Maurice ! Il est mordu d’une brunette et se pique à la blonde. Les clients prennent le train des conversations, desservant toutes les stations de l’idylle naissante à l‘éviction du tendre puis sans arrêt jusqu‘à la cirrhose, terminus, tout le monde descend son demi.
Le compagnon de cuvée de l‘éponge éconduite se redresse difficilement en beuglant.
Le patron de lui demander si ça ne va pas et lui : « Si ! Ouais ! Ç‘tait’un’rat velu qu’a sucé mon pote, pas une souris chauve ! »
Soulevé par un sursaut d‘énergie et d’indignation, l’affalé se rejette en arrière dans la banquette et, tenant haut sa pinte de légitime conviction, déclame « Ô Suprême Reine ! File de l’amour à ton humble serviteur ! » d’une gorgée de mousse, il se relance « En amour comme en musique, les arcanes raillent ceux dont l’ouïe les ignore. Face à des yeux mi-clos diaboliques, laisse ta surdité trouver la voie ! »

Ces deux pochards font partie des murs. Une année rigoureuse, surgissant de nulle part, ils se posèrent là et hivernèrent, verres-aux-gosiers coudes levés. Depuis, ils ne sortent que rarement et jamais sans avoir préalablement proclamé «  Il n’est de bonne maison close qui ne se quitte, aussi, à bientôt ! »

Vlad frémit d’horreur en découvrant un intrus nouvellement accroché au dessus du percolateur. Son frisson ne passe pas inaperçu aux sens aiguisés de Dédé « T’as vu ça c’est beau, hein ! Pas vrai ? En argent véritable ! Pour tout achat de deux futs d’absinthe, un Christ offert livré en sus ! » indéniablement ravi de son acquisition.
Mais déjà l’attention du saint patron se porte sur un client récalcitrant venu geindre « Dédé, sois franc : si c’est fort de copeaux, là, ton kawa, béh ta boisson, ça, la fée verte, là… Ben, c’est de la sciure de mousse… »

[Brunette à la cirrhose]

Brunette à la cirrhose.

Ces dessins sont sur différents calques d’une même image, pour plus de commodité, ils ne sont pas visibles simultanément quand je travaille mais à l’ouverture du fichier ils apparaissent tous en superposition. La plupart du temps le résultat est inintéressant, des fois par contre, il vaut la peine d‘être capturé tel quel.

[Heureuse combinaison de calques]

Pour ceux qui se poseraient la question concernant le texte, la réponse est : oui.

La preuve, dans l’ordre : Nosferatu, vampire, Vlad Tepes, Murnau, Dracula, Jonathan Harker, John Seward, Van Helsing, Carpates, Vlad Tepes, Bram Stocker, Bela Lugosi, Buffy, Mina Murray, Quincey Morris, Lucy Westenra, R.M. Rendfield, Anne Rice, Louis, Claudia, Lestat, Werner Herzog, Klaus Kinsky, Christopher Lee, Francis Ford Coppola (et un poisson chat qui n’a rien à faire là mais qui insiste pour dire qu’on l’appelle des fois silure, ou l’inverse, il n’est pas sûr alors que tout le monde s’accorde à dire que les petits-pois sont verts).

Purée !
Le Christ offert livré, j’en aurais presque honte, mais il me procure tant de joies simples.

Il s’en va déclouer des cercueils au bar ça sonne presqu’comme une expression québécoise.

 

 

Primer episodio
Episodio dos
Episodio tres
Episodio quatro
Episodio cinco
Episodio seis
Episodio siete
 

« Équipe alpha au rapport, Monsieur. Nous sommes arrivés sur site, le Wag est bien là mais pas son équipage. Nous nous apprêtons à poursuivre les recherches en suivant leur plan de route.
— Il n’y avait rien dans le véhicule ?
— Tous les échantillons et relevés prévus, même d’autres qui ne l‘étaient pas. Et…
— Oui ?
— Un « phénomène » que l’on ne s’explique pas avec l’agent Renard.
— Oh, je suis pressé de savoir ce qui met la brigade d‘élite en échec… Phénomène
— « Quelque chose » a ouvert chaque ration et enlevé tous les desserts « du chef », sans exception.
Quelque chose ? – de quelle planète y vient celui là ?
— Quel être humain ferait une chose pareil, Monsieur ? Non, c’est sans doute un animal, mais de quel genre ? Cela dit ce n’est pas une grosse perte, non ?
Pas une grosse perte ? Je suis sûr que c’est ce qu’on dira quand quelque chose va venir t’arracher la tête et te chier dans le cou. Hé ! Grosses pertes ! T’utilises jamais l’italique ? Je me disais que tu causais curieux mais c’est tes putains de « guillemets français » là, ça te donne un « genre »… Genre Français tiens, ça doit être pour ça que ça s’appelle comme ça. Les Anglais ont la capote, les Français les guillemets. Bordel. Et la Suisse le chocolat…
— C’est tout Monsieur ? Terminé ?
— T’es encore là toi ? Si tu peux pas bosser et parler, me cause pas. Est-ce que je m’arrête de causer pour parler moi ? Bon, Scully passe moi Mulder.
— Pardon Monsieur, il n’y a pas de… Et je n… Je vous le passe Monsieur… »

Oswald lève les yeux au ciel… – I want to believe

« Agent Renard, Monsieur. Le collègue a oublié de préciser, il y a un carton non règlementaire qui vous est destiné, Monsieur.
— Tu le mets direct dans le drone et tu le rapatries.
— Pardon Monsieur ? Les drones sont affectés aux urgences…
— C’en est une. Vous comptez me contredire à chaque fois avec ton « collègue » ?
— Non Monsieur… Je ne… Je vous envoie ça, Monsieur. Comptez une heure trente. Terminé. »

De sa poche il sort un paquet de cigarette, en fait jaillir une qui vient trouver naturellement sa place à la commissure de ses lèvres, dégaine son briquet qu’il allume dans le même mouvement, tire une bouffée soutenue et se vautre dans son fauteuil.

« Il est interdit de fumer dans la station…
— Professeur Ducouen ? Que me vaut l’honneur de vôtre visite ? Il est rare que vous daigniez descendre dans mon bocal – il tire une bouffée.
—  Il fait toujours aussi sombre ici.
—  C’est pour préserver les visiteurs du spectacle de la plaie qui remplace mon visage. Je plaisante, la lumière agresse mes yeux. »

L’homme au costume toujours impeccable sort son portable, sélectionne sèchement un fichier audio et le fait jouer.

« Bonsoir à tous les amoureux de la nuit, ce soir radio bocal souhaite célébrer le miracle permanent de la nature… Pas la Nature stérilisée par la brûlure du Soleil, je parle d’une nature autrement plus riche et fertile, la nature humaine…

Bien que pourvu de racines, l‘être humain n’appartient pas au royaume végétal. Ses racines ne l’ancrent pas à un sol pour le condamner à l’inertie. Ses racines ils les portent en lui et elles puisent leur force dans les autres hommes.

Alors, sortez votre tête à la lumière des hommes et des femmes eux-même, nourrissez-vous de leurs créations. Et surtout, ne restez pas dans votre pot ! Faites ça, vous apporterez votre propre lumière sur le monde au lieu de simplement y ajouter une ombre.

C‘était l’andouille en direct du bocal, avant de nous quitter, une dédicace spéciale pour mes tourtereaux… »

« Vous avez utilisé toute la bande passante pour diffuser ça… Alors ?
— Alors ? »

D’une impulsion maitrisée Oswald fait tourner son fauteuil antédiluvien pour faire face à la console et aux écrans qui recouvrent le mur, seule source de lumière de la pièce exigüe.

« Mon prédécesseur m’a prévenu de votre arrogance et…
— Vous êtes encore là ? Vous n’avez pas du travail ? Moi si. Et maîtrisez cette pulsion qui vous inciterai à me menacer de me virer, ce n’est pas en votre pouvoir. Rendez-vous service, ne redescendez pas me déranger. Quant à mon émission pirate, ça ne se reproduira pas, pas pour vous faire plaisir mais parce que ça n’aurait plus aucun sens. »

Oswald entame une série de transcription de communications – Mon prédécesseur m’a prévenu de votre arrogance… Quel con, on est parti pour bien rigoler avec ce gugusse

« Je suis toujours là. Et je vous entends.
— Ne me dites pas que j’ai encore pensé à voix haute… – d’une nouvelle impulsion, il fait face à l’intrus – Faut que je me surveille, à force de bosser tout seul, c’est une mauvaise habitude que j’ai prise… À propos de boulot, j’aurai pensé que diriger cette station était plus prenant. »

Dans ses yeux, le reflet du foyer de sa cigarette avivé par une longue aspiration donne un reflet sauvage à son regard. En général, cela suffit à dissuader les rares visiteurs de continuer de l’importuner… – Faut lui reconnaître ça, le professeur Ducon, c’est pas le premier connard venu.

« Bien… Je ne vous propose pas de vous assoir mais je vais vous dire la vérité. Je ne peux pas penser sans passer par le verbe. Je ne peux pas me taire – Au cas où vous n’auriez pas remarqué – C’est pour ça que je suis enfermé ici.

Vous ne me verrez jamais, jamais, errer dans la station. Il paraît même que je ne mange pas, ou que je ne sors que quand tout le monde dort… Profondément… – Pensez-y – Voyez le genre, je hante le réfectoire la nuit.

J’aime aussi l’idée selon laquelle je mange mes excréments, si si, Brad le mécano – ex-mécano – le disait… Le circuit fermé, ça me fait bien marrer, – surtout avec ses problèmes d‘étanchéités – qui du premier… Vous savez ? L‘œuf ou la poule… Non ? Je vois. Laissez tomber.

Le choix des responsables ès sécurité de l’Agence, à ce poste sensible, plutôt qu’un mec capable de garder un secret ils gardent un mec incapable de cacher quoique ce soit.

Après le service ils me demandent un truc du genre : allez-vous trahir un secret… Et je dit toujours oui : félicitations, votre femme est une chienne au lit – c’est pas un secret pour grand monde cela dit… Enfin, ce genre de trucs.

Je ne pourrais pas cacher l’idée même de trahir… De la même manière, je ne peux pas dissimuler mon envie de vous dégager de mon bocal par tous les moyens.

Vous n‘êtes jamais sorti pas vrai ? – Dehors je veux dire – Moi si, au début, il y a longtemps… – Dehors – C’est ce qui me vaut ma singularité et un de mes surnoms. Mon cancer cause cet effet pervers de verbalisation systématique. C’est moi qui l’ai appelé comme ça.

Enfin… Faut reconnaître que comme système de sécurité c’est plutôt audacieux…

Ce que personne ne sait, c’est que si je ne peux que verbaliser ce que je pense, ce que les gens pensent se verbalise pour moi. Pourquoi croyez-vous que je ne vois personne ? Pour soustraire ma monstrueuse apparence à votre vision ?

J’ai la tête d’un mec charitable ?

Si je parle tout le temps, ce n’est pas pour dire ce que je pense, je le sais déjà, c’est pour ne pas entendre ce que pensent les autres. Ça ne m’intéresse pas ce qu’ils pensent. Qu’ils disent ce qu’ils ont à dire et qu’ils se cassent ! Putain ! Sinon, qu’ils se taisent… À jamais. Vous comprenez le message là ? On dirait que ça fait son chemin. Je ne vous retiens pas.

Hé ! Je parle tout le temps mais, je n’oblige personne à écouter. Hein ! Ciao le Doc ! »

 

Finalement seul, il allume une nouvelle cigarette et active l’interphone interne de la station : « La réception ? Charlie mon gros, un drone va arriver sous peu avec un colis pour moi. Tu me l’amènes fissa et… Discret man. »

Les différents processus de traitement de fichiers étant lancés, le reste des opérations ne requiert plus son intervention avant longtemps. Normalement, il profiterait de ce moment d’accalmie pour écouter des archives de conversations, des vieilleries. Ça le détendrait, mais pas là. Il n’arrive à rien d’autre qu‘à ronger son frein en attendant la livraison et ça n’aide pas le temps à passer plus vite.

Au moins il s’est débarrassé de son importun de visiteur qui ne remontrera sans doute pas son nez de sitôt – j’ai quand même bien chargé la mule sur ce coup là…

Les minutes s‘écoulent, c’est ce qu’elles font toujours et Charlie est un mec bien, comme à son habitude il frappe à la porte puis disparait laissant ce qu’il a amené devant la porte du bocal qui ne tarde pas à s’ouvrir, plus rapidement que jamais.

Le paquet pas plus gros qu’une boîte à chaussures, rafistolé à base d’emballages de rations spéciales, ne manque pas de charmes et trône maintenant sur le bureau. Oswald n’a jamais connu une telle excitation, pas même les matins de Noël de son enfance, pas même ce soir de folle jeunesse dans une rue sulfureuse de Bangkok…

Écrit au marqueur noir, de la main d’Hannah, une inscription couvre généreusement le dessus du carton, enluminée de petits cœurs et d’un dessin explicite montrant ce qui arrivera à qui se risquerait à l’ouvrir sans autorisation.

« Des babioles pour Sir Oswald, uniquement ! »

Babioles, je jurerai l’entendre, mais Sir, ça c’est nouveau.

N’y tenant plus, muni de son scalpel des grandes occasions, il découpe une ouverture en prenant soin de préserver l’ornementation qui aura bientôt une place de choix sur son mur aux trésors.

Voyons-ça.

 

 

Primer episodio
Episodio dos
Episodio tres
Episodio quatro
Episodio cinco
Episodio seis
 

Du dos de sa main préalablement léché, elle se frotte énergiquement les joues afin d’en effacer les stigmates laissées par ses manches. Ma côte flottante termine de digérer la ruade reçue en représailles pour avoir tardé à le lui signaler.
Hannah interrompt un instant son petit manège.

« N’y pense même pas mon lapin. »

Comment nier que des idées ont traversé mon esprit et que la chaleur de son corps contre le mien est une invitation à la digression. Je la soupçonne de s‘être blottie ainsi moins pour résister à l’emprise du froid que pour se soustraire à mon regard.
De nouveau, elle suspend brièvement sa toilette de chat.

« Dis, c’est bien que tu t’endormes avec ma respiration, hein, mais va pas me tenir responsable de ton manque d’inspiration. »

C’est vrai qu’il y aurait matière à écrire.
Néanmoins, puisque tu lis dans mes pensées, sache que je ne suis pas dupe de tes manœuvres de diversion et que le spectacle que tu m’offres ne m’a pas entièrement hypnotisé. Que cherches-tu à éluder en agissant ainsi ?

J’y suis…

« Tu ne rentres pas à la base… C’est ça ? »

 

Parti de ses épaules, un frisson parcours son corps et se propage au mien en remontant depuis la pointe de mes pieds. Sensiblement, la pression qui pesait sur elle s’envole, plane un instant et s’abat sur moi, couvercle de pierre écrasant. Abasourdi.
Pourtant…

« Tu as raison. Je refusais de l’admettre mais je le savais déjà.
— T’es pas mon lapin pour rien gringo. Je pouvais pas te le dire avant, je voulais pas que tu m’empêches de partir. Maintenant, c’est différent. »

Hannah cherche mon bras libre, le soulève et l’enroule autour d’elle, sa main toujours posée sur la mienne. C’est différent.

« Tu vois, avec ton dévouement inébranlable envers la station, je pensais pas que tu l’accepterai. Puis tu m’as parlé de ta biographie quotidienne. J’ai réalisé… Ta conduite exemplaire est pas guidée par le zèle mais par ton futur récit…
— Théorie séduisante, comme son auteur. Mais… »

Ses doigts s’insinuent entre les miens, les ramènent vers elle à effleurer son menton.

« Mais ? »

À tous points de vue, nous n’avons jamais été aussi proches.

« Incapable d‘écrire, comment trouver le sommeil si tu me prives de ta respiration ? »

Comme elle le ferait avec un bâton de rouge à lèvres, Hannah passe l’extrémité de mon petit doigt sur son large sourire.

« Tu trouvera un autre souffle. »

De nos mains jointes, elle replace une mèche de ses cheveux.

« Tu sais quoi mon lapin ? Je vais t’offrir un cahier. C’est pas juste de n‘écrire que pour toi.
— Est-ce que je ne suis pas un livre ouvert pour la reine des médiums ?
— Tu écris trop petit quand tu penses. »

D’une impulsion soudaine, elle serre ma main puis, chuchotant : « Hé, tu entends pas un bruit ?
— Comme un petit cri d’animal exotique ? Ça a l’air proche…. »

Éclairés par la lanterne vacillante, remues ménages à tâtons en quête de la source du cliquetis…

« Bingo ! » Dressée sur ses genoux, Hannah arbore une expression victorieuse soulignée par une lueur diffuse dansant au bout de son bras.

« Dis ? C’est assez exotique pour toi, une andouille ? »

Dessinant une parabole parfaite dans les airs, s’achevant entre mes mains, l‘écran de la radio affiche un smiley grotesque. Je me relève constatant à regret que cette saloperie n’est pas morte.
À contre-cœur mais réconforté par la proximité d’Hannah appuyée contre moi pour être dans la confidence, je me résigne.

« Oswald ?
— Je me suis entendu dire que les nuits sont fraîches en cette saison. Je frissonnais rien qu’en pensant à vos corps grelotant à l’unisson. Horrible… Je n’ai pas eu le cœur de vous tirer de sous la couette. C’est pour ça que j’ai retardé le plus possible l‘équipe de secours que le Doc a lancée ne vous voyant pas revenir.
— T’as bouffé un bon Samaritain ou quoi ?
— Hé, Gringo ! Si quelqu’un l’apprend, t’es mort ! Un lapin mort. Bon, je voudrais pas vous presser mes tourtereaux, hein, mais l’abru-team sera bientôt là, alors… Terminez ! »

La transmission finie, Hannah n’en demeure pas moins appuyée contre moi.

« Dis, ça te dirai pas d‘être romancier ?
— Romancier ?
— C’est pas comme ça qu’on appelle celui qui écrit des romances ? »

La radio recommence à émettre, cette fois Oswald parasite toutes les communications pour occuper tous les canaux. Le connaissant, aucun appareil n‘échappe à son emprise, que se soit sur Terre où ailleurs. Pas sûr que ce soit du goût de tout le monde.

« C‘était l’andouille en direct du bocal, avant de nous quitter, une dédicace spéciale pour mes tourtereaux… »

Je vais pour couper… « Attends… J’adore cette chanson… »


 
Epiloguio

 

 

Primer episodio
Episodio dos
Episodio tres
Episodio quatro
Episodio cinco
 

Le manque d’imagination peut être fatal au moment de « se préparer au pire pour que le pire n’arrive pas… »

Fatal…

« Je suis mignonne, hein ? Sympa aussi ? Brillante, évidemment… » Sous l’avalanche de questions je bascule sur le côté, maintenu au sol par sa prise spéciale coercition. Son inquisition chasse l’hérésie dans mes récits, aurais-je été injuste envers son intelligence – Aie ! – et son charme irrésistibles ? Trahi ses formes et – Aie ! – déformé sa personnalité ?

Ouille !

Il existe une zone du corps, sans nom, sans lien avec un muscle ni même avec aucun organe, uniquement une douleur aigüe quand on y enfonce le doigt, Hannah s’emploie à me l’inculquer, lasse de n’obtenir aucune réponse.

Son examen cesse et mon sang se fige quand elle prend un air coquin… « Dis moi… Tu écris des trucs cochons ?  »

Désamorcer la situation, vite…

« J’ai une règle d’or quand j’écris : ne pas mentir.
— D’accord gringo, tu écris pas des trucs cochons – sourire désarmant – tu verrais ta tête mon lapin ! »

C’est malin…

« Je ne mens pas mais je me permets des libertés. Oswald par exemple, dans ma biographie quotidienne, je l’appelle Lee Harvey et je lui donne les traits d’un aristocrate très smart avec un petit accent anglais…
— J’arrive pas à me l’imaginer… L’autre andouille avec un accent british… Et moi ? Tu m’en donnes un d’accent ? »

J’étouffe rapidement un éclat de rire inopportun, pas assez rapidement, elle a le temps de me fusiller du regard mais relâche néanmoins son étreinte.

Étrangement requinqué par cette séance de torture improvisée, je m’étends et contemple les nuances de gris qui dansent au dessus de nous aux gré des frémissement dans le feuillage.
Allongée à côté de moi, Hannah aussi a repris quelques forces et couleurs.

« Dis gringo, tu crois vraiment que je peux lire dans tes pensées ? » Voyant que j’en reste coi, elle poursuit : « C’est pas ça que tu m’as dit tout à l’heure ?
— J’y ai pensé…
— Ah ? C’est que ça doit être possible alors. »

À la lueur de la lanterne non règlementaire, son impassibilité apparente dissimule difficilement la jubilation que lui procure son subterfuge – c’en est un, n’est-ce pas ?

« Je t’en veux pas tu sais, si tu me fais parler bizarre dans ta biographie quotidienne. Tu vois, celui qui parle étrange ici, c’est toi gringo. »

Par ces mots je t’absous, c’est ainsi que je l’entends. Apaisé qu’elle ne tienne pas rigueur de mon manque de tact, je rassemble mes idées.

« …sempervirens, le sac, les conneries…
— Tu te remets dans le bain c’est ça ? Je me tais…
— La babiole… Le réfrigérant – j’oubliais encore le réfrigérant… »

Hannah baisse l’intensité de la lanterne, je sors un plaid que je jette sur nous deux.

Installés

« Cette nuit là, j’ai pris mon temps pour sécuriser le feu. Pour la première fois je souffrais de l’appréhension de la page blanche. Me glissant sous les couvertures, j’angoissais de ne pas trouver de mots à la mesure de cette journée mouvementée. En remontant le fil des évènements j’espérai trouver celui de mon récit, jusqu’à arriver au buxus… Dès lors, toutes mes tentatives débouchaient irrémédiablement sur lui. »

Encore maintenant, dans les ombres dansantes, surgit le spectre du buis qui vient me hanter.

« Cette approche se révélant une impasse, j’ai cherché un nouveau souffle, un autre rythme en me calant sur ta respiration et… Je me suis endormi. »

Inutile de la voir pour savoir qu’elle me regarde attentivement, qu’elle sourit.

« Après quinze ans, j’ai retrouvé le sommeil et perdu l’inspiration. Depuis ce soir là, je n’échappe au buxus qu’en trouvant refuge dans ta respiration. »

Pour en avoir le cœur net, je lui jette un coup d’œil, son visage rayonne et pas seulement parce qu’il attire toute la lumière de la lanterne qui palpite également dans ses yeux.

Bien.
Il faut que je pense à lui dire pour le vert sur ses joues…

« Avant que je ne t’avoues que j’écrivais, je me suis rappelé que j’avais rêvé de toi la nuit dernière.
Hin hin
— Nous étions de retour à la station, dans la salle de repos et ce que tu me disais était plein de bon sens.
— Évidemment.
— En substance, tu me parlais du buxus, comme quoi il était là, envers et contre tout, qu’il serait encore là longtemps.
— Dis, il t’a vraiment traumatisé cet arbuste…
— Et plus distinctement « le buis c’est toi, c’est ça que tu crois ? Que je me suis mise sur ta route pour te découper en rondelles ? Béh non. Le buis c’est tes certitudes. Tu me crois capable d’abattre tes certitudes avec une machette ? »
— Tu sais, tu es bizarre mon lapin. J’aurais jamais dit un truc pareil – effleurant mon petit doigt du sien – mais ça m’aurait assez plu. En tous cas je partage ça avec ton rêve : tes certitudes, j’ai confiance en elles. Pas toi gringo ? Pour le buxus je serai pas aussi optimiste, j’y suis allée un peu fort, un peu. »

Serein, allongé sur le côté, le bras replié en guise d’appui tête, je regarde Hannah en pleine contemplation des étoiles au travers de la canopée.

« À mon tour c’est ça ? – dit-elle finalement sans quitter le ciel des yeux.
— Tu lis vraiment dans mes pensées. »


Episodio siete
Epiloguio



Voila trois ans que j’ai laissé cette histoire en plan, il était grand temps que je m’y remette d’autant qu’elle touche à sa fin – oui, pour une fois j’ai une histoire avec une vraie fin, alors il faut en profiter, ce n’est pas tous les jours.

 

 

Avec un "k" · 2014-01-18

« Vous ai-je déjà parlé de Viktor ? »

Elle m’a posé la question comme si nous reprenions une discussion interrompue il y a peu, pourtant, encore cinq minutes auparavant, nous ne nous étions pas revus depuis plus de dix ans. Si elle ne m’avait pas interpelé sur cette avenue ensoleillée, je ne l’aurais pas reconnue. Je me serais simplement dit que, parmi cette foule cosmopolite, elle lui ressemblait et j’aurai chassé ce souvenir.
J’ai fini par m’habituer à l’idée de ne plus la revoir alors ce n’est pas ici ni maintenant que j’aurai pu imaginer la retrouver.

« Sans doute ma mémoire est-elle mauvaise…
— Je n’ai pas du vous en parler, vraiment vous ne l’auriez pas oublié. »

À l’époque tu me tutoyais…

Une voix féminine finement synthétisée interrompt le cours de ma pensée pour annoncer en anglais le soixante-cinquième et dernier étage de cette tour de verre où elle m’a entrainé, à deux pas de nos retrouvailles. Les portes miroirs de l’ascenseur s’ouvrent sur l’atmosphère feutrée d’un bar luxueux. Les baies vitrées offrent une vue incomparable sur le quartier d’affaire de cette « mégalo-pôle ».
Quand le serveur en livrée s’est approché avec diligence, elle s’est tournée vers moi en souriant de ce même sourire « comme d’habitude ? » et a passé commande dans la langue locale avec un accent et une maitrise que je ne lui connaissais pas.
Je ne suis pas prêt de parler aussi bien… Je suis fraichement débarqué il est vrai et dans la société qui m’emploie – où je passe le plus clair de mon temps – l’anglais est d’usage. Mais elle, combien de temps a-t-elle séjourné dans cette région du monde ?

Elle s’est absentée un instant pour téléphoner, reporter un entretien qui attendra, je n’ai pu m’empêcher d’entendre une bribe de sa conversation, une vieille connaissance voilà ce que je suis devenu.

Mais je me rends compte que je vous ai dit n’importe quoi, dans cette foule tout à l’heure, avant même de l’avoir vue, d’un bond dans ma poitrine je l’avais reconnue et ce malgré la déferlante d’artifices mis en place par mon cerveau pour m’en dissuader.

Moi c’est moi, je ne vous en dirais pas plus, si vous ne me connaissez pas, vous en apprendrez suffisamment à mon sujet en me lisant.
Quant à mon interlocutrice, je ne saurai pas par où commencer, pas que j’en sache tellement sur elle mais que mes idées ne sont pas claires et se mélangent à des sentiments contradictoires.

Elle est revenue et c’est plus fort que moi, je cherche à son doigt l’indice d’un mariage en cours ou passé.

Voila bien longtemps que j’ai écrit ceci. Il s’agit du début d’un texte qui devait être plus conséquent et que j’attendais d’avoir avancé pour publier ici. Je me rends compte que je n‘écrirai jamais la suite, il n’est pas nécessaire de garder ces quelques lignes pour moi plus longtemps.

-> Notes de travail relatives à ce texte ->

 

 

La crête écarlate · 2013-05-30

[La crête écarlate]

«  Parmi les batailles les plus effroyables de cette guerre, l‘énigmatique Crête écarlate en est une des plus emblématiques. Elle symbolise à elle seule comment la ferveur et l’abnégation des troupes qui se livraient à la mort et au massacre pouvaient se retourner contre ceux qui les commandaient. Elle ne fut pas la première ni la dernière des mutineries mais elle est celle qui continue de semer la graine de la sédition partout où la tyrannie est à l’œuvre.
Ce matin là, les combattants avaient jugé qu’ils avaient payé leur tribu à leurs maîtres respectifs et décidèrent de se rejoindre au sommet de la crête âprement disputée afin de célébrer la paix qu’ils s’instauraient. L‘État Major eu tôt fait d’apprendre la nouvelle et d’en évaluer la portée, ils furent prompts à prendre une décision et ils n’eurent pas besoin de se concerter pour commander l’annihilation de l’insurrection.
On s‘étreignait sur la crête quand les détonations lointaines de l’artillerie firent entendre leur funeste salve. Au loin des deux côtés, des colonnes de fumées montèrent dans le ciel, à peine déformée par la brise, sabordant leurs engins de destruction, les canonniers se ralliaient à leurs frères d’armes.
La panique remonta la chaîne hiérarchique comme une trainée de poudre, il fallait allumer un contre feu pour endiguer l’incendie qui se propageaient aux fronts voisins.
Ce fut la plus imposante mise en œuvre de l’aviation de toute la guerre ainsi que la nuit la plus meurtrière. Une poignée de survivants attendirent d‘être remis de leurs brulures avant de pouvoir être traduits en cour martiale et exécutés.

On apprit plus tard des pilotes ayant participé au raid qu’ils pensaient être en manœuvres. En apprenant la vérité, plusieurs mirent fin à leurs jours. »

Hertzorg, Les volumes de la Perdition – Le règne d’Oton le Preux.

 

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